03 octobre 2006

'On nous présente toujours l'Europe comme la solution aux problèmes qu'elle pose'

Pour Patrick Louis, député souverainiste au Parlement européen, le processus d'intégration est "non seulement en train de tuer la démocratie, c'est à dire la politique, mais conduit à la régression économique et sociale". Dans une interview, il estime que "l'euro n'est pas le fruit d'une quelconque rationalité économique, mais une pure invention idéologique, une création politique, pour forcer les Etats à se fondre dans un ensemble fédéral." Aujourd'hui, on nous dit qu'il faut un gouvernement économique parce que l'euro ne marche pas. Comme d'habitude, l'Europe est la solution aux problèmes qu'elle pose..."



'On nous présente toujours l'Europe comme la solution aux problèmes qu'elle pose'

Patrick Louis bonjour, vous êtes député du Mouvement pour la France au Parlement européen. Croissance molle, chômage de masse, érosion du pouvoir d'achat, délocalisations : pourquoi ce qu'on appelle l'Europe économique, par laquelle la construction européenne a démarré, n'apporte finalement pas les résultats escomptés ?

En réalité, dans les premières décennies après la guerre, la construction européenne a plutôt bien fonctionné. Mais depuis trente ans, les succès sont rares.
En postulant la fin des nations, surtout depuis Maastricht, le processus européen est non seulement en train de tuer la démocratie, c'est à dire la politique, mais conduit à la régression économique et sociale.
Si l'Europe économique est un échec, c'est d'abord en raison de la politique monétaire unique qui prive les Etats des outils de la politique économique : politique monétaire indépendante, flexibilité des taux de change, à laquelle s'ajoute une politique budgétaire corsetée par le pacte de stabilité.
Cette unification conduit à fragiliser la zone euro si un choc monétaire d'ailleurs probable, survient bientôt, en même temps qu'elle s'en remet à l'obsession déflationniste de la Banque centrale de Francfort.

N'est-il pas trop tôt pour affirmer aujourd'hui que la politique monétaire unique, symbolisée par l'euro, est un échec ?

Hélas non. De plus en plus d'économistes réputés le constatent également. Avec le recul et une croissance de la zone euro deux fois plus faible que la croissance mondiale (qui serait de 5% en 2006 selon l'OCDE), on voit que ceux qui comme nous appelaient à rejeter le Traité de Maästricht avaient peut-être raison.
Comme l'a démontré Jacques Sapir, on constate clairement une résistance du monde réel à l'unification simplificatrice dont on croyait la monnaie capable. En présence de dynamiques différenciées, l'inflation peut apparaître comme nécessaire à la croissance.
L'Union européenne n'est en effet pas une nation, ni même un groupe de pays ou de régions dont les économies sont fortement imbriqués tant en terme d'échange des biens et services, que de mobilité des hommes et facteurs de production (ce que l'on appelle une "zone monétaire optimale").
En réalité, l'euro n'est pas le fruit d'une quelconque rationalité économique, mais une pure invention idéologique, une création politique, pour forcer les Etats à se fondre dans un ensemble fédéral. Aujourd'hui, on nous dit qu'il faut un gouvernement économique parce que l'euro ne marche pas. Comme d'habitude, l'Europe est la solution aux problèmes qu'elle pose... L'Euro n'est pas la première monnaie multinationale qui échoue.
Regardons dans les nouveaux Etats indépendants issus de la dislocation de l'Union soviétique. Ils n'ont pas hésité à abandonner le rouble, qui était pourtant bel et bien la «monnaie unique» de la nouvelle Communauté des États Indépendants, pour adopter leur propre monnaie nationale, comme instrument de leur indépendance et symbole de leur dignité retrouvée d'une part, outil essentiel de politique économique nationale d'autre part. Le même phénomène joua lors de la dislocation du Pakistan, l'ancienne partie orientale devenant indépendante en 1971 sous le nom de Bangladesh et adoptant une nouvelle monnaie, le taka. Il a joué aussi lors de la division de la Tchécoslovaquie, avec l'apparition de la couronne tchèque et de la koruna slovaque. Raison invoquée à l'époque: les Tchèques "en avaient assez de payer pour les Slovaques"... Ce fut encore le même scénario lors de l'éclatement de la fédération yougoslave.

Alors faut-il sortir de l'euro ?

Il ne faut pas l'exclure. Je pense que la France doit être matériellement capable, en cas de crise grave affectant la zone euro, de décrocher et d'opérer rapidement un retour au Franc, ou plutôt un Euro-franc. C'est d'une monnaie commune dont nous avons besoin, plutôt qu'unique, mettant l'Europe à l'abri de la conjoncture extérieure.
On pourrait au minimum envisager, comme le font de grands économistes actuels, une solution intermédiaire avec des zones concentriques, où l'Euro pourrait rester monnaie unique mais sur un espace nettement plus réduit qu'actuellement: c'est le premier cercle. Dans un second cercle de pays, où les hétérogénéités structurelles rendent la monnaie unique trop coûteuse, l'Euro serait monnaie commune, c'est à dire parallèle à la monnaie nationale accrochée à l'Euro pour lutter contre la spéculation financière et garantir la crédibilité de la politique monétaire des nations de la zone.
Par ailleurs, il faut s'autoriser une politique de l'Euro faible et un encadrement des flux de capitaux favorisant l'investissement matériel plutôt que les opérations spéculatives.

Que pensez-vous des choix européens pour affronter le libre-échangisme mondial?

Après la politique monétaire unique, c'est la seconde grande erreur des européens, celle d'être plus bêtes que les américains, les chinois et les japonais. Contrairement à nos principaux concurrents, nous avons renoncé, au nom du dogme du libre-échange intégral, à toute préférence communautaire - le principal but et intérêt de la communauté économique européenne - ainsi qu'à protéger correctement nos secteurs sensibles et stratégiques de la concurrence effrénée.
En outre, pour se conformer aux exigences de la Banque centrale, du Pacte de Stabilité et du droit européen de la concurrence sanctionné par la Commission et la Cour de Justice, les majorités PS et UMP successives ont bradé littéralement le patrimoine de la France, appauvri l'Etat et favorisé la mainmise des capitaux étrangers en particulier les fonds de pension américains (qui détiennent par exemple 43% d'EADS).
Depuis trois décennies, regardez ce qu'ils font de nos grandes sociétés nationales, l'énergie, les transports aériens et ferroviaires, les aéroports et réseaux autoroutiers, l'aérospatiale, l'eau, l'image, les bâtiments publics, le foncier domanial, le patrimoine historique et artistique, nos industries de la Défense, même le stock d'or de la Banque de France etc... Les travaux sérieux et exhaustifs de Jean Roux sont très éloquents au sujet de cette "OPA géante" sur la France.
C'est avec cette politique d'abandon qu'il faut rompre. La France a besoin d'un libéralisme responsable, respectueux des deniers publics et pour tout dire patriote. C'est avec un patriotisme économique véritable, tel que les grandes nations du monde le pratiquent et tel que le propose Philippe de Villiers (et tel qu'il le pratique en Vendée) qu'il faut que la politique française renoue.


Patrick Louis est député MPF au Parlement européen. Il dispense des cours sur "les enjeux économiques européens" à l'Université de Lyon III
Cette interview paraîtra également dans 'l'Indépendance' - Edition d'octobre 2006

0 Commentaire(s) :

Enregistrer un commentaire

Balises pour insérer un lien dans les commentaires : <a href="[URL]"> et </a>
<< Page principale